Le 11 juillet dernier, au cours de son émission Alo Presidente, le président Hugo Chavez a officiellement lancé la Mission Cultura. 28.000 promoteurs culturels vont travailler dans chaque secteur, chaque parroquia pour développer des projets culturels dans le but de renforcer l’identité nationale et résister au phénomène d’acculturation dû à la mondialisation néo-libérale.
La culture au sens anthropologique rassemble l’ensemble des croyances, des représentations du monde, des savoir-faire qui orientent notre manière de vivre. C’est en ce sens que Claude Lévi-Strauss nous disait que « tout Peuple possède une culture ». Force est de constater qu’aujourd’hui une des offensives majeures de la mondialisation néo-libérale a été de niveler ces différences culturelles et d’imposer le standard occidental comme référence dominante. L’acculturation au modèle du Nord fut lente et progressive, et peu à peu furent délaissés les enseignements traditionnels et la parole des communautés, urbaines ou rurales.
Le Venezuela n’a pas échappé à ce rouleau compresseur culturel. L’Occident s’est imposé de manière hégémonique, profitant du laissez faire des élites au pouvoir. Dans les villes particulièrement, les classes moyennes et supérieures se sont fort bien acclimatées au mode de vie du grand voisin du nord ; quant aux classes populaires, elles n’avaient pas voix au chapitre et demeuraient invisibles.
La culture peut s’entendre aussi dans le sens des Beaux-Arts : peinture, sculpture, littérature, cinéma... Mais dans ce cas encore, le mode de fonctionnement de l’industrie culturelle et la prépondérance des « fabriques » occidentales dans ce marché -et particulièrement celles nord-américaines- a eu pour conséquence l’imposition économique et sociale des formes culturelles du nord et la descente aux oubliettes de l’histoire de la culture des dominés.
Les musées de la capitale vénézuélienne présentent, avec une fierté compréhensible, les œuvres de Jésus Soto ou de Carlos Cruz Díez dont on cherche avec peine quels rapports elles entretiennent avec le paysan llanero ou l indien Yanomami. Et pour cause, ces deux artistes emblématiques des Beaux-Arts vénézuéliens répondent aux codes esthétiques et à une histoire de l’Art qui trouvent résidence, tout comme eux, dans le monde occidental.
Pour lutter contre ce phénomène, le président Hugo Chavez, au cours du 226 Alo Presidente a lancé la Mission Cultura dont l’objectif principal est de renforcer l’identité nationale par le biais de la culture, faire émerger les traditions et expressions culturelles traditionnelles et populaires, organiser les communautés pour développer la conscience citoyenne.
Pour parvenir à cette fin, 28.000 activadores vont être mobilisés dans tout le pays. Chaque activador développe un travail avec la communauté de son lieu de résidence. Le fruit de ce labeur est sanctionné par un diplôme universitaire, la licenciatura d’éducation mention développement culturel, délivré par l’Université Simon Bolivar. Le gouvernement vénézuélien consacre 500.000 bolivars (US$ 233) annuels à la formation de chaque promoteur culturel.
Selon Herve Soto, Vice ministre de la Culture chargé du développement humain, les activadores qui obtiendront le diplôme universitaire pourront organiser les artistes de leurs communautés, devenir professeurs et surtout remplacer la bureaucratie vénézuelienne en lui apportant un bol d’air participatif et protagonique
Les activadores prennent en charge un secteur de leur quartier comprenant 250 familles. Au sein de la parroquia, la vingtaine d’activadores forme un groupe de systématisation avec un professeur, le facilitateur, dans lequel ils vont faire le point sur leurs différents travaux, leurs problèmes, ...
La Mission Cultura comptera au fil des prochains mois 350 facilitateurs, qui par groupe de 5 se réuniront avec leurs 71 tuteurs pour faire part de leurs avancées et approfondir l’enseignement de la Mission.
Le premier travail des activadores est de développer des projets culturels dans leurs secteurs. Ils opèrent donc un recensement des artistes dans tous domaines (musique, théâtre, danse, peinture) mais aussi des croyances, des mythes, des traditions, des médecines populaires ; autrement dit de toutes les formes que revêt la Culture anthropologique et qui n’avaient aucune visibilité dans un pays auparavant acculturé à la manière de vivre nord-américaines. Comme le souligne Freddy Sanchez, coordinateur national de la Mission Cultura, il s’agit d’« aimer à nouveau et de se réapproprier nos valeurs qui finalement ne se sont jamais perdues ».
Ce recensement dans chaque secteur, chaque parroquia, chaque ville, permettra d’intégrer la variable culturelle comme fondement de l’identité nationale.
Mais de plus, la Mission Cultura se veut un vecteur de transformation sociale. Ses participants ont pour tâche de s’atteler à la transformation des consciences citoyennes. C’est le travail des groupes de systématisation comme celui du secteur Santa Rosalia situé dans le sud de Caracas. Le facilitateur de ce groupe, Manuel Reina, nous met au courant de leur dernière activité : « Dimanche dernier nous avons organisé un atelier avec les damnificados du barrio dont le thème était Comment éduquer son enfant avec amour ? Dans ces familles, la violence contre les enfants est monnaie courante. Notre atelier a eu pour but de faire changer cette habitude et fortifier le noyau familial. » Manuel et ses activadores n’entendent pas s’arrêter là : « Le problème des poubelles et de l’hygiène public n’est pas seulement un problème de recollection des poubelles, il passe par l’éducation des gens à leur environnement et à la préservation du lieu commun. Et c’est notre rôle de changer tout ça. Nous allons même nous attaquer à la légendaire imponctualité vénézuelienne !! »
Dans l’objectif de la construction du Socialisme du XXIe siècle, la Mission Cultura entend rompre avec les mentalités et comportements de la superstructure idéologique capitaliste. « Cette Mission est éminemment politique ! » nous confirme Freddy Sanchez. En ce sens la Mission Cultura est une Meta-mission car de ses résultats dépendra la résistance de la société vénézuélienne à l’hégémonie holistique de l’empire Nord américain. La continuation des missions ou la construction de nouvelles formes d’organisation est intimement liée à la révolution structurelle que prétend apporter la Mission Cultura.