Jacques Bouveresse avait déjà durement condamne l utilisation abusive d analogie scientifique dans le discours politiques[1], et pourtant la dernière chronique d Alexandre Adler dans le Figaro fait fi du prudent avertissement du professeur du Collège de France.
Alexandre Adler utilise la figure de “effet papillon” pour s en prendre une fois de plus au Venezuela bolivarien et établir une critique d une violence spectaculaire sur la représentation qu il se fait de ce pays et de son dirigeant.
“On se prends a imaginer des métaphores moins poétiques [que la métaphore du battement d aile du papillon] par exemple que le claquement brusque d une mâchoire de primate peut provoquer une irruption volcanique. Le primate ou le gorille, on l aura reconnu, c est l apprenti dictateur du Venezuela, Chavez ; et l éruption volcanique, c est évidemment pour la première fois dans son histoire un affrontement généralisé a tout le continent.”
L éminent chroniqueur, inventeur de l expression « gorille populiste », affiche ici son mépris teinté de racisme pour le dirigeant vénézuélien. Chavez étant a l image du Venezuela bolivarien, fortement métissé, d origine indigène et africaine, l utilisation du vocable renvoyant au singe nous renseigne sur la xénophilie de son auteur. De plus, l irruption volcanique prédite par Adler n a aucun fondement. Elle reprends mot pour mot la propagande étatsunienne, qui, le 6 janvier dernier, par la voix de Roger Noriega, avait déclaré que « le Venezuela avait des visées destabilisatrices pour l Amérique Latine ».
Et ce n est pas la première fois que la « pensée papillonne » d Alexandre Adler nous prédit un quelconque chaos géopolitique mais les arguments déployés pour le cas du Venezuela sont particulièrement troublant
Partant du constat qu il existe un espace a la gauche de la social-démocratie (espace haie par l auteur est-il besoin de le préciser), Adler s inquiète de la montée en puissance de l expression des contestations populaires en Amérique Latine.
On ne peut que constater avec lui la revendication a travers le continent d une gauche en rupture avec l idéologie neo-liberale qui prédomine la pensée des partis sociaux-démocrates. On ne peut que le suivre lorsqu il nous informe que l aire d influence du Venezuela bolivarien dépasse largement ses frontières. De Buenos Aires a Lima, de Quito a Cali, les réalisations du gouvernement de Caracas apportent une dose d espoir non négligeable pour ceux qui vivent un enfer social. Comme le souligne Alexandre Adler, « pour cette seule raison, l affaire vénézuélienne a cesse d être folklorique ». Notons au passage que 6 annees de realisations sociales en faveur des plus demunis sont considerees comme un « folklore ».
Au contraire du raisonnable Parti des Travailleurs brésilien, « Chavez et ses allies populistes de l arc andin, depuis les preneurs d otages communistes colombiens jusqu aux narco-emeutiers péruviens, boliviens et maintenant équatoriens, etc., est parfaitement représentatif de la fuite en avant violente des frères Castro entreprise des 1988. »
Les allies populistes sont précisément ceux qui osent contester de manière plus ou moins radicale la domination visible de la main invisible. C est pour cette raison même qu Adler les qualifie de populiste. Puisque qu un Morales a un écho retentissant et qu Chavez a été élu, il faut bien une grande partie d'abrutis pour leur faire confiance. Et comme on s en doute le populisme s apparente ici au fascisme. Assimiler le populisme à un fascisme ne revient-il pas à assimiler les gens ordinaires à des fascistes. Fascistes et précisons tout de suite, incultes et soumis à une pression idéologique qui conditionne leur soutien a leurs leaders.
On aurait pu attendre que notre chroniqueur nous explique ce qu il entends par narco-emeutiers. On s imagine les trafiquants de drogue de La Paz ou d Arequipa provoquant des émeutes dans leurs ville respectives,…sur injonction de Fidel et de Chavez bien évidemment !
Le plus probable est que Adler parle ici des cocaleros. Que tous les grévistes et manifestants de La Paz ou de Quito ne soit pas issus du mouvement cocalero, que les cultivateurs de feuille de coca ne soit en rien des narcotrafiquants, l auteur n en dit rien, la force du néologisme impose le mensonge de son inventeur.
Et Cuba !!! Cuba toujours et encore, ça fait 46 ans que ça dure. Erige en paradigme de l ignominie, Cuba apparaît sous la plume d Adler comme le vecteur autour duquel s articule tous ces mouvement populistes, et particulièrement le Venezuela bolivarien.
« Le Venezuela, inondé de médecins, de flics et de moniteurs sportifs cubains est ainsi devenu le champs de bataille privilégié de l aile stalinienne de la dictature castriste. (…) Le stalinien allemand du nom de Dietrich travaille la main dans la main avec les hommes de la Havane pour étouffer rapidement ce qui reste de démocratie au Venezuela »
Il y a 30.000 médecins cubains au Venezuela. C est en effet un chiffre important mais qui n apparaît pas encore suffisant pour inonder un pais de 14.000.000 d habitants…. Les entraîneurs sportifs sont peu nombreux, quand aux •flics » cubains, il n y en a tout simplement aucun.
Les médecins cubains qui opèrent au sein de la mission Barrio Adentro ont apporté a des millions de vénézuéliens qui en étaient jusque la prive une médecine de proximité, et complètement gratuite.
Quand a l évocation de Hans Dietrich, on a l impression de naviguer dans un polar de John Le Carre. On se prends a penser a l auteur allemand dans une officine à la Havane travaillant avec quelques militaires cubains sur les plans à suivre pour opprimer le peuple vénézuélien.
Car encore une fois, le media-mensonge d un Venezuela dictatorial refait surface. Donc il est encorebesoin de rappeler que dans cette curieuse dictature, aucun media n a été fermée (malgré leur participation au Coup d Etat d avril 2002), aucun syndicaliste, étudiants, artistes, leader paysan n ont été jeté en prison… a la différence de la démocratique Colombie voisine. Quel régime tyrannique bien curieux ! « Ce qu il reste de démocratie au Venezuela » est un immense espace de débat, que ne manque pas de s approprie partisans ou opposants du gouvernement.
« La tentation de Chavez de déclencher un conflit arme avec la Colombie voisine afin de reprendre en main l armée et d écrasé totalement la société civile s inscrirait parfaitement dans ce projet »
La stratégie est connue. Plus le mensonge est gros, plus il a de chance de passer. Car dans le cas des relations avec la Colombie c est précisément l inverse qu il se passe.
Le 2 mai 2004, 156 paramilitaires colombiens furent arrêtes dans les environs de Caracas. De leur propre aveu, ils n étaient pas venus profiter des charmes du pays bolivarien mais bien pour tuer Chavez.
En décembre dernier, des militaires colombiens aide par des policiers vénézuéliens corrompus capturèrent le canciller des FARC a Caracas. Cette violation de la souveraineté territoriale du Venezuela aurait pu déclencher un début de conflit si Uribe n avait pas fait un simulacre d excuse. La tentation de Chavez aurait enfin pu se réalisé. Quel dirigeant stupide de n avoir pas su saisir l occasion quand la Colombie la présentait…
La société civile est l oppose de la société militaire. Elle inclut donc toutes les organisations, syndicats mais aussi tous les citoyens du Venezuela bolivarien. Selon Alexandre Adler, cette société civile est déjà partiellement écrasée. Les 59.05% de vénézuéliens qui ont vote en faveur de leur président durant le referendum révocatoire du 15 août dernier ne se sentent pas le moins du monde écrasé. S il devaient se sentir écrasé, ce serait alors sous le poids des acquis sociaux que ce gouvernement leur a octroyé depuis 6 ans ; acquis sociaux qui leurs avait jusqu ici toujours été refusé : éducation, santé, reforme agraire,…
En plus de Cuba, un autre pays, communiste lui aussi, tire les ficelles de la marionnette bolivarienne :
« La Chine de demain, en proie manifeste a une fièvre autarcique qui pourrait s aggraver brutalement avec l épuisement que l on peut déjà entrevoir d un modèle de croissance fonde sur les seules exportations, pourrait décider que Chavez et son Venezuela militarisé seraient la bonne réponse a la stratégie américano-japonaise de renforcement de Taiwan »
Au moins comme ce Venezuela est, selon Adler, déjà militarisé, la Chine n aura pas besoin d y exporter des missiles pour les pointer sur Miami…
Que le Venezuela décide souverainement de diversifier sa clientèle pour vendre son pétrole afin de moins dépendre des achats étasuniens, n en fait pas un satellite chinois pour autant. Mais la raison géopolitique adlérienne a des raisons que la Raison ne connaît pas.
La causalité complexe à laquelle l auteur se réfère pour définir la méthode de sa chronique et l épistémologie de sa pensée l a évidemment mené en toute logique….au chaos de la pensée !
________________________________________
[1] Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l analogie, Paris, Raisons d'agir, 1999